Au Cardinal Borgne

Création espace public – sortie 8 juin 2024
Musique, magie, mentalisme et peut-être une once de vidéo
La reconstitution historique minutieuse d’un lieu imaginaire
Le Cardinal Borgne a enflammé les nuits de plus d’un siècle de folie.
Music-hall d’avant-garde, cabinet de curiosités, temple de l’illusion, cabaret ésotérique, centre spirite de la résistance…
Tout un monde de créatures, de marginaux et de phénomènes qui ont marqué ce lieu de leur empreinte.
Au Cardinal, on perçoit l’écho des performances passées.
« Mesdames et messieurs, n’hésitez plus ! Au Cardinal ce soir, vous aurez droit à des merveilles : le
grand Ivanov et sa femme lévitée en deux ; le père Dugenou – excommunié pour curiosité scientifique
– et son numéro d’avaleur de poussin ; Sacha Triolet, le jongleur d’enfants ; les frères Rébanlouard,
incroyables siamois télépathes et pleins d’autres encore, le tout en musique. Demi-tarif pour les militaires,
les religieuses et les bonnes d’enfants ! »
in Anthologie du boniment de B. Ratin, 1952
Outre les spectacles, ce qui a fait la renommée du Cardinal Borgne, ce sont les soirées tardives. Une fois la porte fermée
et le spectacle terminé, on y commençait une série de jeux littéraires, d’expériences et d’improvisations fantasmagoriques.
Dans une ambiance qui célébrait le mélange des genres, on y voyait essentiellement des gens qu’il était impossible
de voir ailleurs.
« … mon esprit chancela, puis s’envola, enfin décroché des convenances, enfin libre de musarder dans
les méandres de mon imaginaire. Elle m’avait fait ce cadeau, celui de la suspension de la crédulité, puis
elle m’avait laissé là, au petit matin, devant le Cardinal Borgne, dont le souvenir m’habiterait de nombreuses années. »
in La trilogie des Charlier-Timbaud de B. Halzac, 1892
On notera les séances particulières qui y ont eu lieu durant l’Occupation.
« D’autres résistaient d’une manière très différente de la nôtre. Je me souviens d’un artiste parisien qui
réunissait dans son théâtre tout ce que Paris comptait de médiums, magiciens, guérisseurs et autres
hurluberlus plus ou moins charlatanesques pour des séances de spiritisme durant lesquels ils tentaient
– Au Cardinal Borgne (& autres fantasmagories sur roulette) par la Cie Raoul Lambert / pré-dossier février 2024 –
de percer les secrets de l’ennemi, de communiquer avec des prisonniers, voire avec des morts au combat
pour obtenir des informations qui feraient avancer notre cause. Je ne sais s’ils n’ont jamais eu un
résultat mais j’ai toujours gardé un souvenir ému de ces gens qui tentaient, malgré tout, de participer à
ce combat pour la liberté, quels que soient leurs moyens. »
in Ma guerre était la vôtre du Caporal J. Mouret, 1952
Le Cardinal Borgne, un lieu éternel ?
Le lieu a survécu à deux guerres, trois krachs boursiers, une inondation et trois incendies. Changeant de forme régulièrement
(on se souvient de l’installation du balcon en 1927), il a su pourtant garder son cachet d’origine tout au long de
sa vie, toujours en décalage avec l’air du temps, ce qui le rendait indémodable.
Pourtant, en 1972, après un incident étrange durant lequel un des nains du spectacle meurt en coulisse, puis après le
passage d’un trésorier véreux qui disparaîtra avec la caisse, le Cardinal est transformé en cinéma pour adultes jusqu’en
1981, année où il se retrouve au coeur d’un projet immobilier de grande envergure qui en fera un centre commercial.
« Vous avez tout pris de ma jeunesse, et pour quoi ? Pour de l’argent, autant dire pour rien. Promoteurs
ignorants, urbanistes tristes à mourir, vous m’avez tout pris. Mes journées au bord du canal et mes nuits
au Cardinal que votre cupidité insatiable a englouti. Quel enfant passant ici saura quelles féeries démentes
ont eu lieu sous cette dalle de béton ? Y en a-t-il un qui pourra ressentir cette magie ? »
in Nostalgie bitumière de J.R. Millepied, 1983
On aurait pu croire à la fin de l’aventure du Cardinal borgne, mais peut-on faire taire la voix singulière de ces aventuriers
sans que son écho ne subsiste ?
De nombreuses rumeurs ont fait état de soirées clandestines organisées par la même troupe durant la dernière décennie.
Certains parlent de la cave d’une ambassade, d’autres d’une caravane-théâtre itinérante.
Quoi qu’il en soit, gageons que le Cardinal Borgne et son improbable mélange créatif ont trouvé une voie pour survivre,
pour continuer à créer, partager et émerveiller les curieux de tout bord.